Pourquoi une telle pollution par l’ozone en méditerranée ?
Pourquoi le bassin méditerranéen connaît-il chaque été de fortes augmentations des concentrations troposphériques en ozone ? En s'appuyant sur des données du sondeur infrarouge IASI embarqué à bord du satellite MetOp, des chercheurs du Laboratoire atmosphères, milieux, observations spatiales (LATMOS/IPSL, CNRS / UPMC / UVSQ) et du Laboratoire inter-universitaire des systèmes atmosphériques (LISA/IPSL, CNRS / UPEC / UPD), en collaboration avec des chercheurs belges (Université Libre de Bruxelles) et avec le soutien du CNES, ont mis pour la première fois en évidence la variabilité temporelle des concentrations d'ozone sur l'ensemble du bassin. Ils ont également réussi à démontrer que ce sont surtout les conditions météorologiques qui conduisent aux pics estivaux d'ozone.
L'ozone joue un rôle important dans l'atmosphère : dans la stratosphère, la couche d'ozone agit comme un bouclier qui nous protège des rayons solaires ; dans la troposphère, l'ozone est un gaz nocif.
L'ozone troposphérique n'est pas directement produit ni par la nature, ni par les activités humaines. Il provient de réactions photochimiques (activées par le soleil) impliquant des polluants émis par les activités humaines, notamment les oxydes d'azote (NOx) et les composés organiques volatils (COV). Une fois créé, l'ozone persiste plusieurs jours et peut donc être transporté par les vents sur de grandes distances.
Densément peuplée et hautement touristique, la région méditerranéenne est souvent confrontée à un problème de qualité de l'air durant l'été. En particulier, les concentrations mesurées en ozone dépassent régulièrement les seuils d'alertes fixés par l'Union Européenne pour ce gaz qui, à concentration élevée, affecte la capacité respiratoire des personnes les plus vulnérables et diminue la productivité des cultures. Ces dernières années, les réglementations contraignantes ont conduit à une amélioration de la qualité de l'air en Europe, du fait de la baisse des concentrations de nombreux polluants atmosphériques. En revanche, bien que les précurseurs de l'ozone soient en diminution, les concentrations d'ozone continuent à augmenter près de la surface terrestre, comme l'attestent les mesures locales. Quels sont donc les processus qui conduisent à cette augmentation ?
Pour déterminer quels sont les facteurs qui favorisent l'accumulation de ce polluant, il est nécessaire de pouvoir analyser les variations dans l'espace et dans le temps des concentrations d'ozone. Les données fournies par les stations basées au sol ne permettant pas d'acquérir une vue globale sur toute une région, des chercheurs du LATMOS et du LISA, en collaboration avec des chercheurs belges, ont analysé sept années de mesures (de 2007 à 2013) des concentrations d'ozone par l'instrument IASI (1) embarqué à bord du satellite MetOp (2) qui survole le bassin méditerranéen deux fois par jour. Ils ont également réalisé des simulations numériques de l'évolution des concentrations d'ozone sur toute la région au cours de l'année 2010 à l'aide d'un modèle atmosphérique régional, le modèle WRF-Chem qui prend en compte les émissions de polluants et les réactions chimiques se produisant dans l'atmosphère. Dans ces simulations, des marqueurs numériques ont été utilisés pour traquer les processus dominants de formation d'ozone dans chaque couche atmosphérique.
L'analyse des données IASI a permis aux chercheurs de mettre pour la première fois en évidence la variabilité importante des concentrations d'ozone en région méditerranéenne, aussi bien dans l'espace que dans le temps. Grâce aux mesures journalières, ils ont ainsi pu montrer que l'est et l'ouest du bassin sont affectés différemment et que les pics de pollution sont plus intenses certains étés.
Mesures journalières d’ozone en unités ppb (partie per milliard en volume), à une altitude de 3 km, entre juin et août 2008. Les flèches indiquent deux épisodes de fortes concentrations en ozone qui ont été associés à des intrusions stratosphériques et à la subsidence des masses d’air sur l’est du bassin Méditerranéen.
Moyennes mensuelles au cours des trois mois d’été et moyennes sur l’ensemble de la période (CLIM) des concentrations d’ozone (en unités ppb) à 3 km d’altitude, mesurées par IASI de 2007 à 2012.
Colonnes d’ozone IASI [0-8 km] pour la région méditerranéenne pendant l'hiver (DJF), le printemps (MAM), l’été (JJA) et l’automne (SON) montrant les variations saisonnières d’ozone de 2008 à 2013.
En combinant ces données à des données météorologiques, ils ont également pu mettre en évidence le rôle joué par la température et les vents.
Moyennes mensuelles au cours des trois mois d’été et moyennes sur l’ensemble de la période (CLIM) des concentrations d’ozone (en unités ppb) à 3 km d’altitude, mesurées par IASI de 2007 à 2012.
Colonnes d’ozone IASI [0-8 km] pour la région méditerranéenne pendant l'hiver (DJF), le printemps (MAM), l’été (JJA) et l’automne (SON) montrant les variations saisonnières d’ozone de 2008 à 2013.
Enfin, les simulations leur ont permis de comprendre plus précisément les mécanismes chimiques et dynamiques qui conduisent à la formation des pics élevés d'ozone troposphérique observés durant l'été, lesquels sont dus à la combinaison de trois facteurs :
- au transport de l'ozone par les vents depuis les pays d'Europe situés au nord et à l'est ;
- à l'amplification de la production d'ozone du fait du fort ensoleillement ;
- aux importantes intrusions stratosphériques d'ozone qui se produisent de façon récurrente en été en région méditerranéenne, surtout à l'est du bassin.
À plus long terme, la mission IASI devant durer plus de 15 ans, il va être possible de surveiller l'ozone, de manière systématique et continue, dans différentes régions du monde. Cela permettra d'évaluer si les mesures mises en place pour restreindre les émissions des composés qui conduisent à la formation d'ozone sont efficaces, en particulier au-dessus des zones notoirement polluées.
Notes
(1) IASI (Interféromètre atmosphérique de sondage infrarouge) est un instrument développé par le CNES en partenariat avec Eumetsat et embarqué à bord du satellite MetOp. Le CNES assure un support à Eumetsat pour certaines opérations de monitoring et de traitement des données. Il soutient la communauté des chercheurs français sur IASI, en particulier sur le thème de la composition de l'atmosphère.
(2) MetOp est la composante spatiale du programme EPS (Eumetsat polar system) d'Eumetsat qui vise à la prévision météorologique et à la surveillance en continu de la composition atmosphérique au moyen de trois satellites successifs permettant de couvrir 15 années d'observation. MetOp-A et MetOp-B ont été lancés respectivement en 2006 et 2012 et le lancement de MetOp-C est prévu en 2018. Les satellites MetOp ont été développés par l'ESA.
Sources
Safieddine, S., Boynard, A., Coheur, P.-F., Hurtmans, D., Pfister, G., Quennehen, B., Thomas, J. L., Raut, J.-C., Law, K. S., Klimont, Z., Hadji-Lazaro, J., George, M., and Clerbaux, C.: Summertime tropospheric ozone assessment over the Mediterranean region using the thermal infrared IASI/MetOp sounder and the WRF-Chem model, Atmos. Chem. Phys., 14, 10119-10131, doi:10.5194/acp-14-10119-2014, 2014.
Doche, C., Dufour, G., Foret, G., Eremenko, M., Cuesta, J., Beekmann, M., and Kalabokas, P.: Summertime tropospheric-ozone variability over the Mediterranean basin observed with IASI, Atmos. Chem. Phys., 14, 10589-10600, doi:10.5194/acp-14-10589-2014, 2014.
Contacts
Sarah Safieddine (LATMOS), Tél. : 01 44 27 33 22
Cathy Clerbaux (LATMOS)
Gaëlle Dufour (LISA), Tél. : 01 45 17 65 46
Source : CNRS-INSU