Premières expériences utilisation la cellule cryogénique long parcours LISA-SOLEIL
Par Fridolin Kwabia Tchana (LISA) – Coresponsable de la Cellule LISA-SOLEIL
La spectroscopie moléculaire est un domaine de recherche où l’innovation instrumentale, telle que le développement de nouvelles sources de lumière ou de dispositifs expérimentaux spécifiques, joue un rôle clé. Dans cet objectif, il a été décidé de développer dans le cadre d’une collaboration LISA-SOLEIL une cellule refroidissable long parcours pour les études de spectroscopie d’absorption infrarouge, en phase gazeuse à haute résolution de systèmes moléculaires complexes d’intérêt atmosphérique, planétologique ou astrophysique. Ce document fait le point sur les objectifs, les caractéristiques et performances ainsi que les premières mesures impliquant cet instrument.
Le but est de pouvoir générer des parcours optiques de l’ordre de la centaine de mètres dans une enceinte refroidie de façon homogène et contrôlée, isolée sous vide, avec des systèmes de vide appropriés pour générer les mélanges gazeux ou le vide d’isolation sans générer de vibration parasite, nuisible à la qualité de la mesure. Des cellules à gaz refroidissables à long parcours ont déjà été réalisées dans le passé dans différents groupes mais nous avons développé un montage spécifique, optimisé à la fois pour les domaines infrarouge moyen et lointain et permettant une commutation aisée entre ces domaines sur les mêmes échantillons et compatible avec des gaz oxydants ou halogénés. A notre connaissance, un tel instrument en fonctionnement est unique.
Après plus de 2 ans de développements et de tests, les caractéristiques et performances de la cellule sont les suivantes :
- Parcours optique ajustable entre 3 et 144 m avec au minimum 10 % de transmission.
- Changement de parcours optique sans remettre la cellule à l’air ni repasser l’interféromètre dans le visible.
- Température homogène et ajustable entre 100 et 400 K.
- Optiques large bande (FIR à MIR).
- Gamme de pression de travail, du vide à 1000 mbar.
- Jauge cryogénique (gamme 0.01 - 50 mbar contrôlée à 1%) pour la mesure de pression du gaz actif à froid.
- Possibilité de travailler avec des molécules moyennement agressives (pas d’acides forts, d’ozone).
- Cellule peu sensible aux vibrations.
Sur la Figure 1, on peut voir le schéma de principe du refroidissement convectif (He) sur réserve d’azote liquide (N2) et le design optique multi-passages de type Chernin. Cet arrangement optique, par rapport au système White classique à l’avantage d’être vibro-stabilisé pour un nombre pair de lignes et colonnes et permet un grand parcours optique.
Figure 1. Schéma de principe du refroidissement convectif (He) sur réserve d’azote liquide (N2) et design optique multi-passages de type Chernin. |
La photo ci-dessous (Figure 2) montre une vue d’ensemble de la cellule durant une phase de tests avec l’interféromètre haute résolution. Couplée à un ensemble spectroscopique centré sur un interféromètre de résolution maximale 0,002 cm-1 (au LISA) et 0,001 cm-1 (sur la ligne AILES à SOLEIL), la cellule cryogénique à réflexions multiples permettra :
- d’étudier des espèces instables qui se décomposent rapidement à la température ambiante;
- de réduire la densité de raies dans les spectres de molécules lourdes avec des vibrations de très basse énergie;
- l’intercalibration FIR – MIR;
- d’étudier la variation des coefficients d’élargissement par pression en fonction de la température, indispensables pour l’analyse des spectres atmosphériques.
Figure 2. Vue d’ensemble de la cellule lors des tests avec l’interféromètre haute résolution de la ligne AILES à SOLEIL. |
La phase de développement étant terminée, le projet est entré dans une phase de mise en service et d’exploitation. Au LISA, cet ensemble instrumental sera ouvert à tous les chercheurs. A SOLEIL, il sera ouvert à toute la communauté des spectroscopistes sur projet de demande de temps de faisceau synchrotron. C’est dans ce cadre qu’ont eu lieu du 14 au 16 décembre 2012 les premières expériences impliquant la cellule cryogénique long parcours LISA-SOLEIL. La photo ci-dessous (Figure 3) présente l’équipe qui a menée à bien ces expériences.
Figure 3. De gauche à droite : Laetitia Lago (Assistante Ingénieur dans le Groupe Vide à SOLEIL,impliquée dans le développement de la cellule), Laurent Manceron (Responsable de la cellule sur laligne AILES à SOLEIL), Vincent Boudon (Responsable de l’équipe SMPCA du laboratoire ICB à Dijon,premier utilisateur de la cellule), Fridolin Kwabia Tchana (Responsable de la cellule au LISA). |
Ces expériences de spectroscopie dans l’infrarouge lointain ont porté sur deux systèmes d’intérêt atmosphérique et planétologique: SF6 et CH4. Ces deux gaz à effet de serre ont un potentiel de réchauffement (PRG) beaucoup plus important que celui du CO2. La modélisation précise des spectres atmosphériques de ces gaz est nécessaire afin de contrôler leurs concentrations. Il parait donc indispensable de disposer des données expérimentales fiables pour l’analyse et l’interprétation des spectres de laboratoire et ceux des observations satellitaires et spatiales. Ces données de référence (positions, intensités et largeurs de raies) sont parfois incomplètes, de basses précisions ou inexistantes. C’est le cas de la bande ?6 de SF6 centrée vers 347 cm-1 qui n’avait jamais été observée à haute résolution. Il s’agit d’une bande interdite, permise par perturbation et donc de faible intensité (0.002 Km /mole). Cette interaction de rotation-vibration de type Coriolis (avec la bande ?4) qui perturbent considérablement la distribution des intensités constitue une occasion unique pour une observation directe la bande ?6, mais exige un ensemble instrumental extrêmement sensible. Comme on peut le voir sur la Figure 4, ceci a été possible grâce à la cellule long parcours LISA-SOLEIL qui permet de travailler à basse température et ainsi de s’affranchir des bandes chaudes qui rendent l’analyse impossible. Mais aussi grâce au rayonnement synchrotron de la ligne AILES à SOLEIL (source d’une brillance et d’une intensité exceptionnelles) qui permet dans l’infrarouge lointain d’obtenir un meilleur rapport signal sur bruit par rapport aux sources conventionnelles de laboratoire.
Figure 4. (a) Simulation préliminaire utilisant le modèle HTDS (Highly-spherical Top Data System) développé à Dijon par Vincent Boudon.(b) Spectre observé à haute résolution (0.002 cm-1) avec un parcours optique de 93 m,5.26 mbar de SF6 à 160 K. |
Ces premières expériences impliquant le nouvel ensemble instrumental a été suivi par les premières simulations utilisant le modèle théorique basé sur la théorie des groupes et le formalisme tensoriel développé dans l´équipe SMPCA du laboratoire ICB à Dijon (Vincent Boudon) et permet ainsi d’apprécier les performances de la cellule cryogénique long parcours LISA-SOLEIL.
In fine, l’analyse de la bande ?6 est très importante car cette bande est impliquée dans l’analyse des bandes chaudes situées dans les régions (900-1000 cm-1) où SF6 est détectée et modélisée.
Comme on peut le voir sur la Figure 5, nous avons aussi enregistré à haute résolution et dans les mêmes conditions, le spectre de la bande ?3 – ?2 centrée vers 305 cm-1. Une analyse détaillée de cette bande permettra d’améliorer la précision des paramètres.
Figure 5. (a) Simulation utilisant le modèle HTDS de Dijon.(b) Spectre observé à haute résolution (0.002 cm-1) avec un parcours optique de 93 m,5.26 mbar de SF6 à 160 K. |
Dans un deuxième temps (voir Figure 6), cette première campagne nous a permis d’enregistrer un premier spectre d’une série de mesure pour l’étude de la variation des coefficients d’élargissement de CH4 par pression en fonction de la température. Ce type d’étude est indispensable pour la modélisation de l’atmosphère de Titan.
Figure 6. (a) Simulation utilisant le modèle STDS (Spherical Top Data System) développé à Dijon par Vincent Boudon. (b) Spectre observé à haute résolution(0.005 cm-1) avec un parcours optique de 93 m, 100 mbar de CH4 à 120 K. |
Ces premiers résultats ouvrent donc la voie à de nombreuses études de spectroscopie d’absorption infrarouge lointain et moyen, en phase gazeuse à haute résolution, dans la gamme de température 100 - 400 K de molécules d’intérêt atmosphérique, planétologique ou astrophysique.
Contact (s) pour l’utilisation de l’ensemble instrumental centré sur la cellule cryogénique long parcours LISA-SOLEIL :
Fridolin Kwabia Tchana, Responsable de la cellule au LISA, Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. .
Laurent Manceron, Responsable de la cellule sur la ligne AILES à SOLEIL, Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. .