Axe 2 – Spectroscopies des espèces interstellaires et biologique : UV, MW et calculs ab initio

La modélisation théorique et les analyses spectrales 

 

Nos travaux théoriques tentent de comprendre et modéliser des phénomènes de physique moléculaire comme :

- les interactions de vibration-rotation : il s’agit de décrire, par des méthodes de mécanique quantique et le développement d’Hamiltoniens effectifs, les résonances qui interviennent entre niveaux d’énergie proches. Ceci permet d’obtenir les positions et intensités de raies;

- les mouvements de grande amplitude : les molécules présentant de l'inversion, comme l’ammoniac, ou de la rotation interne d’un groupe méthyle CH3.

Les études effectuées au LISA s’articulent autour de trois axes :

- l’enregistrement des spectres dans le domaine microonde à l’aide d’un spectromètre par transformée de Fourier couplé à un jet moléculaire (MJ-FTMW) entre 26.5 et 40 GHz (voir Fig. 1);

- le développement de modèles théoriques Hamiltoniens et de logiciels adaptés aux différents systèmes moléculaires, tenant compte des effets mentionnés ci-dessus, mais aussi, le cas échéant, de la structure hyperfine, de rotation interne d’un ou deux groupes méthyle, du couplage entre deux mouvements de grande amplitude (I. Kleiner and J.T. Hougen, J. Phys. Chem. A119, 10664, 2015);

- les analyses de spectres mesurés en laboratoire pour en déduire, grâce à ces modèles théoriques, des paramètres spectroscopiques tels que positions et intensités (voir Fig. 2) pour des applications atmosphériques, astrophysiques ou biologiques (B. Tercero, I. Kleiner, L. Nguyen et al. Astrophys. J. Lett. 770, 2013; A. Jabri, L. Nguyen, F. Kwabia Tchana, W. Stahl, I. Kleiner et al., Astron. & Astrophys. 589, A127, 2016).

Ces axes sont renforcés par le développement de calculs de chimie quantique de manière complémentaire aux analyses spectrales (L. Nguyen, Kleiner et al, Phys. Chem. Chem. Phys. 15, 10012, 2013; C. Gutlé, Few-Body Syst.58, 1284, 2017). Un exemple d’utilisation des calculs de chimie quantique est l’optimisation de structures géométriques, ce qui est intéressant notamment en présence de puits de potentiel multiples, où une surface entière peut-être calculée. Une étude vibrationnelle peut compléter le calcul électronique. Différentes constantes spectroscopiques s’en déduisent : constantes rotationnelles, distorsion centrifuge, potentiel et paramètres de rotation interne, couplage spin-rotation,...

 

   

Fig. 1. Le spectromètre MJ-FTMW du LISA, « small cavity » , 26.5-40 GHz, résolution : 2 kHz.

Fig. 2. Exemple de spectre microonde observépour la molécule de para-methyl anisole et en dessous la modélisation (L. Ferres, W. Stahl, I. Kleiner, L. Nguyen, J. Mol. Spectrosc. 343, 44, 2018). On note le bon accord entre le spectre observé et celui calculé.

 

Spectroscopie de molécules d'interët astrophysique

 

Un nouveau formalisme théorique pour traiter les molécules contenant deux rotateurs internes (deux groupes –CH3) a été développé et un code écrit au LISA (M. Tudorie, I. Kleiner et al., J. Mol. Spectrosc. 269, 211, 2011).

Ce formalisme et code ont été appliqués à la molécule d’acétate de méthyle (CH3COOCH3), montrée dans la Figure 3. Depuis les années 80 les spectres microondes de cette molécule n’avait en effet jamais été traités correctement faute de modèle théorique et de codes appropriés. Grâce à notre étude spectroscopique et pour la toute première fois dans l’espace, la molécule d’acétate de méthyle a été détectée en collaboration avec le Prof. J. Cernicharo (CSIC, Madrid).

Cette observation a eu lieu dans le nuage interstellaire de la Nébuleuse d’Orion grâce au télescope de 30 m de l’IRAM (Espagne)1 dans les domaines spectraux micro-onde et millimétrique. Orion est un nuage interstellaire assez « proche » de nous et il est considéré comme un bon « modèle » pour comprendre la formation d’étoiles à haute masse. Le nombre de petites molécules organiques détectées dans Orion (méthanol, formiate de méthyle, acétone, diméthyl ether, acétaldéhyde, etc.) démontre une très grande complexité chimique. Orion est souvent considéré comme une « vaste usine de molécules organiques » (B. Tercero, I. Kleiner, L. Nguyen et al., Astrophys. J. Lett. 770, 2013).  

 

 
Fig. 3. A gauche: détection de cette molécule dans le nuage interstellaire Orion avec en noir le spectre observé, en vert la modélisation du spectre des 140 autres espèces détectées jusqu’à présent et en rouge notre modélisation des raies de CH3COOCH3. A droite : c'est la première fois que l'on découvre de l'acétate de méthyle dans l'espace. Cette découverte a été possible grâce au télescope de 30 m de l'IRAM. Crédits : CNRS/ESO.

 

Notons que les spectres d’Orion obtenus par le télescope de 30 m de l’IRAM présentent des milliers de raies qui proviennent des molécules relativement abondantes. Le problème d’identifier ces structures spectrales dans le nuage Orion était un véritable challenge, l’analyse a été faite molécule par molécule par l’équipe du Prof. Cernicharo, en étroite collaboration avec différents laboratoires de spectroscopie dans le monde dont le laboratoire LISA. Ainsi les spectres des isotopologues 13C, 18O et deutéré du formiate de méthyle ainsi que la molécule d’acétate de méthyle ont été observés au laboratoire avant d’être détectés dans Orion (M. Carvaja, Kleiner et al., Astronomy & Astrophysics 500, 1109, 2009).

 

Contact: Isabelle Kleiner, voir aussi http://www.insu.cnrs.fr/node/4581

 

Spectroscopie microonde de molécules odorantes et substances naturelles

 

Un exemple de nos travaux est le spectre microonde de la molécule de linalool, un mono-terpène acyclique qui est l’un des composants de la lavande et émis par de nombreuses plantes ou arbres a été aussi analysé (Figure 4). Les terpènes réagissent rapidement avec les radicaux OH et NO3 ainsi qu’avec O3. Ils sont considérés comme des polluants atmosphériques et jouent un rôle important dans la chimie atmosphérique.

 

Cette molécule possède de nombreux conformères, mais seul le conformère le plus bas en énergie est observé dans les spectres en jet. La combinaison des calculs ab initio et de laspectroscopie à haute résolution a abouti à d’excellents résultats (L. Nguyen, Kleiner et al, Phys. Chem. Chem. Phys. 15, 10012, 2013). Les calculs ab initio permettent de déterminer la structure des différents conformères et produisent des valeurs pour les constantes de rotation mais ces valeurs doivent être validées par des résultats expérimentaux. Cette étude qui est l’une des premières effectuées par cette technique en phase gazeuse sur des terpènes ouvre la voie vers de nouveaux travaux sur ce type de systèmes moléculaires.

 

 
Fig. 4. A gauche : les calculs ab initio permettent de calculer la structure des différents conformères. A droite: Spectre microonde del’huile de lavande (essence de lavandin, trace supérieure) et du linalool (trace inférieure). Les fréquences sont données en MHz, les intensités en unité arbitraire.

 

Contact : Lam Nguyen

 

Les travaux en cours combinent calculs ab initio , spectres expérimentaux et analyse spectrale sur la famille des hétérocycles aromatiques dont le 2-methylthiazole, faisant apparaître l’existence de plusieurs minima par rotation du groupement méthyle (Figure 5).

 

 

Fig. 5. Puits d’énergie potentiel du 2-methylthiazole obtenu par une rotation de 180° du groupe méthyle

 

Contact : Claudine Gutlé

 

Spectroscopie électronique appliquée et fondamentale

 

          Dans le domaine spectral de lultraviolet (UV) et de l’ultraviolet du vide (VUV)nous mettons en œuvre une plateforme de spectroscopie basée sur un monochromateur commercial à incidence normale d’une focale f = 1 m (Soc. McPherson). La plateforme sera principalement dédiée à la spectroscopie d’absorption quantitative 1) d’espèces chimiquement fragiles d’intérêt pour les objets du milieu interstellaire et 2) d’espèce d’intérêt pour les atmosphères planétaires. Pour ces espèces, des mesures à haute ou basse températures seront effectuées afin de fournir des données d’entrées pertinentes pour les modèles de chimie. Ce type de mesures nécessitent beaucoup de temps et sont pour cette raison difficiles à faire dans un centre de rayonnement synchrotron. Au LISA nous possédons depuis longtemps une grande expérience sur des mesures UV absolues dans différents domaines de température. 

Les sections efficaces d’absorption ainsi mesurées serviront en premier lieu au calcul des taux de photolyse pour la modélisation physico-chimique des divers objets astrophysiques (cf. par exemple projet EXACT thématique astrochimie). Elles peuvent aussi être utilisées pour des fins de télédétection dans le domaine spectral de l’UV ou VUV.

Nous effectuons également régulièrement des mesures sur la ligne DESIRS du synchrotron Soleil en utilisant le spectromètre VUV à transformée de Fourier et le dispositif Delicious3, tous deux des instruments permanents sur cette ligne de lumière. Outre des mesures d’absorption, nous étudions en particulier la spectroscopie des molécules ionisées avec le dispositif Delicious3 qui consiste en un spectromètre à coïncidence de photoélectrons et photoions (Voir l’exemple de la Fig. 6).

 

 

Fig. 6. Spectroscopie du cation C4N2+, une espèce de grand intérêt astrophysique (Leach et al., J. Chem. Phys. 2013). Cette figure montre la richesse des données produites par le spectromètre Delicious3.

En haut (a) la matrice 3D de coïncidences photoélectron-photoions (code couleur) en fonction de l’énergie du photon et d’énergie cinétique des photoélectrons. Elle révèle des états électroniques du cation et des états super excités de la molécule neutre.

En bas (b) des spectres déduits de la matrice 3D : le spectre de rendement total ionique (TIY, en rouge) en unités absolues de sections efficaces de photoionisation et le spectre photoélectronique (SPES, en noir). 

   

 

Outre l’importance de ce type de mesure pour l’astrochimie, nous nous intéressons très fortement à la spectroscopie électronique fondamentale. C’est pourquoi, l’analyse spectrale est souvent effectuée à l’aide des calculs de chimie théorique ab initio.

 

Contact : Martin Schwell